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L'histoire d'un enfant du Nord

Il conclut ses spectacles par la phrase « Allez, faites moi plaisir, soyez heureux au moins pour aujourd'hui ». Ce n'est pas seulement une clause de style, un gimmick de comédien comique. Chez Zef, c'est une philosophie de vie, une vraie. Pas de celles qui sont balancées pour combler le vide ou se donner un genre. Ceux qui le connaissent le décrivent comme pétant le feu, flambant vif, l'écoute attentionnée, l'humeur égale. Ne pas compter sur lui pour se regarder le nombril. Comme tous les généreux qui ne cultivent pas la rareté, Zef carbure au sourire et à la vanne. Il n'en distille pas uniquement pour récolter lauriers et bravos.

C'est dans sa nature d'être un ami qui vous veut du bien. Doit-on y trouver une tentative d'explication au sein de ses racines ? Certainement cliché sur le papier mais il serait idiot de balayer l'évidence : le gaillard n'a jamais perdu le Nord.

 

Élevé au sein du milieu populaire lillois où le partage n'est pas une valeur en toc, il a déjà des velléités d'être un jour un homme de spectacle. Sauf que dans la famille, ce n'est pas un sujet qu'on prend au sérieux. Cela ne l'empêche pas, enfant, d'user du play-back sur les Chœurs de l'armée rouge et de s'essayer à des chorégraphies improbables au rythme de La danse du sabre. Ce désir est remisé provisoirement dans les greniers de l'adolescence. Il faut rentrer dans le rang. Donc Manuel Roger - son nom au civil - sera banquier. Quatre ans à trimballer son attaché case, c'est une éternité pour lui. Nager à contre-courant est un sport épuisant. Alors, il va prendre son destin à bras-le-corps. Naviguer en tant que Gentil Organisateur, ça n'est pas un choix par défaut. D'autant qu'il s'agit de tourisme social. Il est ainsi comme un poisson dans l'eau. C'est une école de l'exigence et de la ressource. Pas de place pour l'à-peu-près quand on sait le spectateur peut se retrouver le lendemain avec vous à la table du petit-déjeuner. Aucune posture à adopter si n'est celle du positivisme à toute épreuve doublée d'une convivialité constante. Lui n'a pas besoin de se forcer pour respecter le cahier des charges. Entrecoupée d'incursions elle aussi formatrices dans les cabarets, cette période aussi bien insouciante qu'éprouvante dure douze années.

 

Quand Zef rentre à Lille au début du millénaire, c'est pour jouer un autre rôle du cœur : garde-malade auprès de sa mère. A l'hôpital, entre deux paroles réconfortantes, il commence à écrire. Les prémices le verront évoluer en duo (Les Zanges) puis en solo dans un premier spectacle au titre inspiré par une formule récurrente de sa mère « On ne sait jamais ». Il reçoit le soutien inconditionnel du Croque-Notes à Seclin. D'ailleurs, entre ce cabaret et lui, cela roucoule toujours comme au premier jour.

 

Il y a aussi une parenthèse probante à la capitale au Petit Gymnase (Mais je te préviens, je n'irai pas à Paris) qui connaît son petit succès jusqu'à la sortie couperet du film Bienvenue chez les ch'tis. Mais c'est au bout du quatrième essai Zef en solo que le trublion gagne ses galons. Ce one man show, mis en scène par Thierry Moral et dans lequel il convoque ses souvenirs de jeunesse (premier roulage de pelle, première boum, premier mariage, première boîte échangiste, premier divorce..), fait la synthèse des années cabarets et de la scène. Ce sont des sketches à porte avec un art revendiqué pour la digression. Il aime les histoires vraies sous couvert d'hyperbole. Dans son approche, un côté rabelaisien jamais racoleur.

 

En guise de dynamique, Zef peut aussi s'appuyer sur la radio. Le voilà, parallèlement, chargé chaque matin à 7h55 d'animer une chronique sur l'antenne de France Bleu Nord. Moment fédérateur suivi par de nombreux fidèles. Qui se cache derrière cette voix égayante qui interdit les matins noirs ? Elle est un tremplin idéal pour attirer le curieux dans les salles. L'agenda se remplit. Et on se demande quelle ville du Nord-Pas-de-Calais n'a pas eu la chance d'accueillir notre clown-bateleur. Zef bénéficie d'un énorme capital de sympathie. Il le sait, il en joue, il se lâche. Son public, qui vient en couple ou en famille, ne feint pas d'être blasé. Mieux même, il participe activement. L'interaction est ainsi souvent de mise. Parce que Zef a du peps et dix idées à la seconde. Son one man show nouveau-né s'appelle Père, grand-père et repère. Sous la houlette de Laurent Cappe, directeur du Rollmops théâtre à Boulogne-sur-Mer, il embrasse le présent et regarde vers demain. Encore plus de jeux de mots et de calembours délicieux. Il a suffisamment d'armes pour les aligner avec son naturel et sa désinvolture habile. Zef est père à 23 ans, grand-père à 49 ans et à nouveau père à 50 ans. Il ne fait rien comme les autres. Il plaît à domicile. Nul doute qu'il va désormais élargir la taille de son fan-club hexagonal. « Allez, faites moi plaisir, soyez heureux au moins pour aujourd'hui ». Le pays n'aura bientôt que cette phrase-là à la bouche.

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